Le vide, un point d'ancrage en soi

Publié le 30 juin 2024 à 17:12

Je vous partage ici un entretien intéressant et touchant avec l'accord de la personne accompagnée. J'y utilise beaucoup le dégagement d'espace, une technique qui permet de retrouver de la place en soi. Au cours de l'entretien, la personne va pouvoir contacter ses ressources et changer sa perception du vide:

 

A. est ténor à l’opéra, il souhaite améliorer ses performances et sa technique de chant, notamment lors d’auditions. Le début d’entretien se déroule à un rythme très soutenu et rapide. A. est agité et parle vite. En parlant avec lui, il se pose un peu et se rend compte qu’il aimerait surtout retrouver la joie de chanter. [Ici, on voit que le sujet de l'entretien n'est pas toujours celui avec lequel la personne arrive, un sujet peut en cacher un autre]. Il me parle aussi de son histoire, de ce que représentait le chant pour lui enfant et maintenant. Il me donne beaucoup d’explications sur ce qu’il faut faire pour « bien » chanter, me parle du milieu du chant très critique, de son hypersensibilité, se demande s’il est fait pour ça... Je lui propose de se mettre debout comme s’il allait chanter pour mieux sentir ce qui se passe en lui.

 - Oui (se met debout) …… Je me sens déconnecté de mes jambes…. J’ai la tête qui tourne sans arrêt…. Si je chantais maintenant, j’aurais plein de choses négatives qui viendraient me dire « mais concentre toi, pourquoi tu ne veux pas te concentrer ? »

Je lui propose de mettre ses injonctions négatives dans une boîte. Il accepte et range cette boite sur une étagère chez lui. Apparaît ensuite une peur d’être vu nu, une peur que je l'invite à accueillir et qu’il ressent comme un tremblement dans tout son corps. Je l'invite à laisser le tremblement être, à lui donner toute la place et ce tremblement le rend vivant. C’est agréable et je le laisse goûter ses sensations. Il met aussi dans une très jolie boîte son rêve de carrière et de célébrité qu’il range précieusement. Vont également dans une boîte grise avec un joli nœud : sa grand-mère, son histoire et l’obligation de réussite associée.

Après ces différents dégagements, A. se sent vide. Cela lui donne le vertige. Cependant,  en explorant les sensations, il sent qu'il a de la place, respire avec son diaphragme, a envie de se prendre dans les bras lui-même, je l'invite à le faire et cela lui fait du bien. Il se pose des questions, mais je le ramène continuellement aux sensations. Il sent de la chaleur, les muscles en bas du dos; qu’il mobilise quand il chante; travaillent, se tendent, le soutiennent. Il a une question qui lui vient « est- ce que les autres vont aimer ce que je vais chanter ? ». Je lui propose de mettre dans une boîte l’approbation des autres. Il accepte, l’installe dans une boîte rose avec un ruban gris à côté des autres dans le placard. Après cela, il respire mieux, son ventre est gonflé, il sent qu’il est gros mais trouve cela agréable de pouvoir prendre de la place et d’être bien. Il sent toujours les muscles de son dos actifs et ses jambes sont plus solides.

- Ce serait quoi l’impression générale de tout ça. Comment tu te sens ?

- C’est comme … d’aller faire la guerre…. Prêt au combat

- Prêt au combat…

- L’image qui me vient, c’est le toréador sur l’arène…. Avec le taureau qui arrive en courant… Et le taureau est beaucoup plus grand que lui, beaucoup plus fort, … mais il peut prévoir la direction du taureau. Le taureau va faire ce qu’il va faire. Et il faut pouvoir agir. Voilà, c’est la réactivité. Je ne peux pas contrôler le taureau. [En focusing, il s'agit d'une prise, c'est à dire une image issue des sensations du corps qui va nous éclairer quand à la question de départ et permettre d'aller plus loin]

- Tu te sens comme un toréador face à un taureau.

- Oui...

.- Comment c’est d’être comme un toréador face à un taureau ?

- C’est agréable. Un peu…. grisant.

- Reste avec cette sensation. Prend le temps de la goûter.

- ………..

- Quel serait le message de cette image, de ces sensations, par rapport à ta question de départ qui était de mieux chanter ?

- ……… (respire). Qu’il faut être concentré et seul face à la performance…. Comme face au taureau…. Oui seul, et puis pouvoir bloquer tout le reste…. Le reste c’est la peur, le public, les critiques, le jugement…. (respire)

- …. Et toutes ses sensations que tu sens, cet espace, cette respiration, ton corps qui est soutenu. Est-ce que ça te donne des réponses pour faire cela ?

- Oui, car il faut que je sois mieux avec moi. Car l’ultime soutien ne peut venir que de moi.

- L’ultime soutien, c’est toi.

On continue d’explorer les sensations de plus en plus profondément avec ce soutien qui vient de lui, qui vient du corps et qui permet une performance réussie.

- (Silence, respire profondément)… C’est pour moi. (respire) C’est pour moi…. Une performance réussie…. c’est un état de grâce… et c’est pour moi.

- C’est pour toi.

- (silence) Comment tu te sens avec cette idée que cet état de grâce, il est pour toi ? ce cadeau, il est avant tout pour toi ?

- (pleure)

- Ça te touche que cela soit pour toi…

- (pleure)

- Laisse aller. Tu peux pleurer. (lui tends un mouchoir)

- (pleure)

- Comment tu te sens ?

- J’essaye de pas laisser d’autres pensées, des choses qui n’ont rien à voir entrer dans ma tête.

- Cela t’a touché de sentir que c’était pour toi, cet état de grâce.

- C’est un peu comme si je me demandais pourquoi je mériterais cela.

- …….

- Tu te demandes si tu mérites ce moment de grâce, c’est ça ?

- Oui (pleure)

- Et alors, est-ce que tu le mérites ?

- Je ne sais pas, j’arrive pas à dire. Pourquoi moi ? pourquoi pas quelqu’un d’autres ?

- Qu’est-ce que tu sens dans ton corps quand tu m'évoques cela ?

- Une tension dans ma poitrine et mon ventre. Une espèce d’écart. Quelque chose qui a lâché un peu du fait que j’ai pleuré. J’ai envie de me balancer.

- Tu peux te balancer si tu as envie. (Je commence à me balancer également, je ne sais plus à quel moment je l’ai fait, mais je me suis mise debout avec lui pour mieux sentir ce qu’il me disait)

- (se balance)

- Comment c’est maintenant ?

- Je me sens plus comme l’enfant. (il a la gorge nouée en le disant)

- Comme l’enfant.

- (pleure) qui vit.

- Comme l’enfant qui vit.

- Oui

- Comment c’est d’être un enfant qui vit ?

- C’est très bien... (il est très ému)

- (silence)... Et cet enfant, il aurait le droit à l’état de grâce ?

- Oui (on l’entend à peine, il murmure)

- Oui ?

- Oui, bien sûr. (respire, sourit, je le laisse dans la sensation un moment)

- Comment tu te sens maintenant ?

- J’ai la tête qui tourne un peu… En fait, je pense que le vide n’est pas si mal. Mon sentiment n’est plus le même par rapport au vide de tout à l’heure…

On explore ses sensations liées au vide et cela débouche sur la possibilité d’utiliser le vide comme un point d’ancrage fort en soi, à partir duquel on peut offrir le chant à soi, puis aux autres, c’est vraiment un acte créateur. On arrive à des sensations très agréables d’espace, de liberté, de chaleur, de présence, d’amour. Je le laisse goûter ces sensations.

A la fin de l’entretien, il me dit à propos du vide :

- Et ce que cela m’a apporté aussi c’est de ne plus voir ce vide en moi comme un problème ou une honte mais comme une force. Et ça c’est nouveau pour moi. Et avec ce vide, on a toujours la place pour accueillir quelque chose de nouveau.

A la fin de l’entretien, A. a l’air détendu. Il est plus calme qu’à l’arrivée et parle beaucoup moins vite. Un sourire confiant éclaire son visage. J’ai eu des nouvelles la semaine suivante, A. avait passé une audition qui s’était très bien passée.

 

Lors de cet entretien, j’ai pris le parti de proposer de dégager de l’espace au fur et à mesure, tout ce qui l’empêchait de « bien » chanter. Quand il ne reste plus rien : il y a le vide, il y a lui, il y a le chant, il y a l’enfant. Il est passé d’être centré sur l’extérieur (les autres, les règles…) à être centré sur lui-même et la rencontre intime peut avoir lieu… et soudain : l’important n’est plus de « bien chanter » mais de voir l’état de grâce offert par le chant, d’accueillir ce cadeau pour soi pour pouvoir ensuite l’offrir aux autres.  Le vide n’est plus quelque chose d’effrayant mais devient une ressource immense, comme le dit si bien A. « un point d’ancrage fort en soi à partir duquel on peut créer ».

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